Thèse présentées a la Faculté des Sciences de Paris pour obtenir le grade de docteur ès sciences physiques / par Mme Sklodowska Curie.

  • Curie, Marie, 1867-1934.
Date:
1903
    En effectuant un certain nombre de mesures de ce genre, on voit que la radioactivité est un phénomène susceptible d'être mesuré avec une certaine précision. Elle varie peu avec la température, elle est à peine influencée par les oscillations de la température ambiante-, elle n'est pas influencée par l'éclairement de la substance active. L'inten- sité du courant qui traverse le condensateur augmente avec la surface des plateaux. Pour un condensateur donné et une substance donnée le courant augmente avec la diffé- rence de potentiel qui existe entre les plateaux, avec la pression du gaz qui remplit le condensateur et avec la distance des plateaux (pourvu que cette distance ne soit pas trop grande par rapport au diamètre). Toutefois, pour de fortes différences de potentiel, le courant tend vers une valeur limite qui est pratiquement constante. C'est le courant de saturation ou courant limite. De même pour une certaine distance des plateaux assez grande, le courant ne varie plus guère avec cette distance. C'est le courant obtenu dans ces conditions qui a été pris comme mesure de radioactivité dans mes recherches, le conden- sateur étant placé dans l'air à la pression atmosphérique. Voici, à titre d'exemple, des courbes qui représentent rintensité du courant en fonction du champ moyen établi entre les plateaux, pour deux distances des plateaux diffé- rentes. Le plateau B était recouvert d'une couche mince d'uranium métallique pulvérisé; le plateau x-V, réuni à l'électromètre, était muni d'un anneau de garde. La figure 2 montre que l'intensité du courant devient constante pour les fortes différences de potentiel entre les plateaux. La figure 3 représente les mêmes courbes à une autre échelle, et comprend seulement les résultats relatifs aux faibles différences de potentiel. Au début, la courbe est rectiligne; le quotient de l'intensité du cou- rant par la différence de potentiel est constant pour les tensions faibles, et représente la conductance initiale
    entre les plateaux. On peut donc distinguer deux con- stantes importantes caractéristiques du phénomène ob- Fig. 2. ^;; Champs forts o Champ 5o serve : i'^ la conductancc initiale pour différences de potentiel faibles ; 2" le courant limite pour différences Fis. 3. ^ Chcunps piibles o Champ de potentiel fortes. C'est le courant limite qui a été adopté comme mesure de la radioactivité. En plus de la différence de potentiel que Ton établit
    entre les plateaux, il existe entre ces derniers une force électromotrice de contact, et ces deux causes de courant ajoutent leurs effets; c'est pourquoi la valeur absolue de l'intensité du courant change avec le signe de la diffé- rence de potentiel extérieure. Toutefois, pour des diffé- rences de potentiel notables, l'effet de la force électromo- Irice de contact est négligeable, et l'intensité du courant est alors la même, quel que soit le sens du champ entre les plateaux. L'étude de la conductibilité de l'air et d'autres gaz soumis à l'action des rayons de Becquerel a été faite par plusieurs physiciens ('). Une étude très complète du sujet a été publiée par M. Rutheiford (-). Les lois de la conductibilité produite dans les gaz par les rayons de Becquerel sont les mêmes que celles trou- vées avec les rayons Rontgen. Le mécanisme du phé- nomène paraît être le même dans les deux cas. La théorie de l'ionisation des gaz par l'effet des rayons Rontgen où Becquerel rend très bien compte des faits observés. Cette théorie ne sera pas exposée ici. Je rappellerai seulement les résultats auxquels elle conduit : i" Le nombre d'ions produits par seconde dans le gaz est considéré comme proportionnel à l'énergie de rayon- nement absorbée par le gaz; 2*^ Pour obtenir le courant limite relatif à un rayonne- ment donné, il faut, d'une part, faire absorber intégrale- ment ce rayonnement par le gaz, en employant une masse absorbante suffisante; d'autre part, il faut utiliser pour la production du courant tous les ions créés, en établissant un champ électrique assez fort pour que le nombre des ions qui se recombinent devienne une fraction insigni- fiante du nombre total des ions produits dans le même (') Becquerel, Comptes rendus, l. CWIV. p. Soo, 1897. — Kelwin, Beattie cl Smolan, Nature, t. I.VI, 1897. — Iîeattii: cL Smolucuowski, Phil. Mag., t. XLHl, p. ',18. (-) RuTHERFOiiD, PliU. Mag., janvier 1899,
    temps, qui sont presque tous entraînés par le courant et amenés aux électrodes. Le champ électrique moyen néces- saire pour obtenir ce résultat est d'autant plus élevé que l'ionisation est plus forte. D'après des recherches récentes de M. Townsend, le phénomène est plus complexe quand la pression du gaz est faible. Le courant semble d'abord tendre vers une valeur limite constante quand la différence de potentiel augmente; mais, à partir d'une certaine différence de potentiel, le courant recommence à croître avec le champ, et cela avec une rapidité très grande. M. Townsend admet que cet accroissement est dû à une ionisation nouvelle produite par les ions eux-mêmes quand ceux-ci, sous l'action du champ électrique, prennent une vitesse suf- fisante pour qu'une molécule du gaz, rencontrée par un de ces projectiles, se trouve brisée et divisée en ses ions con- stituants. Un champ électrique intense et une pression faible favorisent cette ionisation par les ions déjà présents, et, aussitôt que celle-ci commence à se produire, l'intensité du courant croît constamment avec le champ moyen entre les plateaux ('). Le courant limite ne saurait donc être obtenu qu'avec des causes ionisantes, dont l'intensité ne dépasse pas une certaine valeur, de telle façon que la saturation corresponde à des champs pour lesquels l'ioni- sation par choc des ions ne peutencore avoir lieu. Cette condition se trouvait réalisée dans mes expériences. L'ordre de grandeur des courants de saturation que l'on obtient avec les composés d'urane est de io~*' am- pères pour un condensateur dont les plateaux ont 8*^'" de diamètre et sont distants de S''"'. Les composés de thorium donnent lieu à des courants du même ordre de grandeur, et l'activité des oxydes d'uranium et de thorium est très analogue. (') Townsend, Phil. Mag., i()Oi, G'^ série, t. I, p. ig8.
    Radioactivité des composés dhiranium et de thorium. — Voici les nombres que j'ai obtenus avec divers com- posés d'urane; je désigne par i l'intensité du courant en ampères : Uranium métallique (contenant un peu de carbone) 2,3 Oxyde d'urane noir U^ 0^ 2,6 Oxyde d'urane vert U^O^ i ,8 Acide uranique hydraté o,6 Uranate de sodium 1,2 Uranate de potassium 1,2 Uranate d'ammonium i ,3 Sulfate uraneux 0,7 Sulfate d'uranyle et de potassium 0,7 Azotate d'uranyle 0,7 Phosphate de cuivre et d'uranyle 0,9 Oxysulfurc d'urane 1,2 L'épaisseur de la couche du composé d'urane employé a peu d'influence, pourvu que la couche soit continue. Voici quelques expériences à ce sujet : Epaisseur de la couche. / x 10". mm Oxyde d'urane o,5 2,7 » 3,0 3,0 Uranate d'ammonium.... o,5 i,3 » .... 3,0 1,4 On peut conclure de là, que l'absorption des rayons uraniques par la matière qui les émet est très forte, puisque les rayons venant des couches profondes ne peuvent pas produire d'effet notable. Les nombres que j'ai obtenus avec les composés de tho- rium (*) m'ont permis de constater : 1° Que l'épaisseur de la couche employée a une action considérable, surtout avec l'oxyde; 2° Que le phénomène n'est régulier que si l'on emploie (') M"* Curie, Comptes rendus, avril i8()8.