Histoire philosophique et politique des isles françoises dans les Indes occidentales / [Anon].

  • Raynal, abbé (Guillaume-Thomas-François), 1713-1796.
Date:
1784
    iiê Histoire des Isles Fran^joises fournir aux habitans ce genre de fécondité reproductive des beftiaux fi néceffaires à la culture & à la fubfiftance. L’ifle a d^autres quartiers d’une nature ingrate: des terreins efcarpés, que les torrens & les pluies ont dégradés; des terreins marécageux, qu’il eft difficile & peut-être impoffible de delfécher; des terreins pierreux, qui fe refufent à tous les travaux. Cependant les obfervateurs qui connoilfent le mieux la colonie s’accordent tous à dire que fes cultures font fufceptibles d’augmentation , & que l’augmentation pour- roit être de près d’un tiers. On arriveroit même, fans nouveaux défrichemens, à cette amélioration, par une culture meilleure & plus fuivie. Mais pour atteindre ce but, il faudroit un plus grand nombre d’efclaves. C’eft beaucoup que les habitans aient pu ^ufqu’à nos jours maintenir leurs atteliers ‘dans l’état où ils les avoient reçus de leurs •peres. Nous ne croyons pas qu’il foit en leur pouvoir de les augmenter. A la Martinique , les propriétaires des ■ terres peuvent être divifés en quatre clalTes. 'La‘première polTede cent grandes fiicreries , -exploitées par douze mille noirs. La fécondé.
    \ EN Amérique. 117 cent cinquante, exploitées par neuf mille noirs. La troifieme, trente-fix, exploitées par deux mille noirs. La quatrième, livrée à la culture du café, du coton, du cacao , du manioc, peut occuper vingt mille noirs. Ce que la colonie contient de plus en efcla,- ves des deux lèxes, eft employé pour le fer- vice domeftique , pour la pèche, pour la navigation ; eft dans l’enfance ou dans un état de décrépitude. La première clafle eft toute compofée de gens riches. Leur culture eft poulfée aufli loin qu’elle piiilTe aller j & leurs facultés la maintiendront fans peine dans l’état florilfanl: où ils l’ont portée. Les dépenfes même qu’ils font obligés de faire pour la reprodudion, font moins confidérables ^que celles du colon moins opulent, parce que les efclaves qui nailfent fur leurs habitations, doivent renv placer ceux que le tems & les travaux dq- truifent. La fécondé clalfe , qu’on "peut appeller celle des gens aifés, n’a que la moitié des cultivateurs dont elle auroit befoiji, pour atteindre à la fortune des riçhes, propriétai- res. Euflènt-ils les moyens d’acheter les eÇ^> H î
    • plaves qui leur manquent, ils en feroienfe détournés par une funefte expérience. Rien de fi mal entendu que de placer un grand nombre de negres à la fois fuir une habitation. Les maladies que le changement de climat & de nourriture occafionne à ces malheu- reux J la peine de les former à un travail dont ils n’ont ni l’habitude, ni le goût, ne peuvent que rebuter un colon par les foins fatigans & multipliés que demanderait cette éducation des hommes pour la culture des terres. Le propriétaire le plus aélif eft celui qui peut augmenter fon attelier d’un fixieme d’efclaves tous les ans. Ainfi la fécondé claiî’e pourroit acquérir quinze cens noirs par an, fi le produit net de fa culture le lui permet- toit. Mais elle ne doit pas compter fur des crédits. Les négocians de la métropole no, paroiiTent pas difpofés à lui en accorder j Sç çeiix qui faifoient travailler leurs fonds, dans, la colonie, ne les y ont pas plutôt vus oififs «U hafardés, qu’ils les ont portés en Europe ou à Saint-Domingue. La troifieme claife qui eft à-peu-près in- digente; ne peut fortir de fa fituation par l^uçun moyen pris_ dans l’ordre naturel du
    EN A M É R I Q.R E, ÏI^ commerce. C’eft beaucoup qu’elle puiiTe fub- fifter par elle - même. Il n’y a que la main bieiifaifante du gouvernement qui puifl’e lui donner une vie utile pour l’état, en lui prê- tant, fans intérêt, l’argent néceifàire pour monter convenablement fes habitations, La recrue des noirs peut s’y éloigner fans in- convénient des proportions que nous avons fixées pour la fécondé çlaife ; parce que cha- que colon ayant moins d’efclaves à veiller, fera en état de s’occuper davantage de ceux dont il fera l’acquifîtion. La quatrième claffe, livrée à des cultures moins importantes que les fucreries, n’a pas befoin'de fecours auflî. puiifuis pour recou- vrer l’état d’aifance d’où la guerre , les oura- gans & d’autres malheurs l’ont fait décheoir. Il fuffiroit à ces deux dernieres clalfes d’ac- quérir chaque année quinze cens efclaves y pour monter au niveau de la profpérité que la nature permet à leur induftrie. Ainfi, la Martinique pourroit efpérer de porter fes cultures languiifantes jufqu’où elles peuvent aller, fi, outre les rempla- cemens, elle recevoir chaque année une augmentation de deux ou trois mille nègreSi
    Mais elle eft hors d’état de payer ces recrues, fc les raifons de fon impuiflance font connues, Qn fait qu’elle doit à la métropole, commet dette de commerce, à-peu-près un million. Une fuite d’infortunes l’a réduite à en em^ prunter quatre aux négocians établis dans le bourg Saint-Pierre. Les engagemens qu’elle a contradés à l’occafion des partages de fa^ mille , ceux qu’elle a pris pour l’acquifition d’un grand nombre de plantations l’ont ren^ due infolvable. Cette fituatiori défefpérée ne lui permet pas de remplir, du moins de long7 tems, toute la carrière de fortune qui lui étoit ouverte. Encore eft-elle expofée à l’invafion. Mais la Marti- quoique cent endroits de fes côtes offrent à pique peut- ^ ^ plie être l’ennemi les facilités d’une defcente, il ne çQnç|uife. inutile, par l’impoffibilité de tranfporter à travers un pays extrèmernent haché, fon artillerie 8ç fes munitions, au fort Royal qui fait toute l^i défenfe de la colonie. C’eft vers ce parage feul qu’il tournera fes voiles. . Au devant de ce chef-lievi, eft un port célèbre fltué.fur la partie latérale d’une large biiie, dans laquelle on ne s’enfonce qu’en